Se faire comprendre en kinésithérapie.
Les mots doivent avoir du sens pour les patients. Exemple pour une pathologie d'épaule.
La douleur à l’épaule est une cause fréquente de consultation en kinésithérapie. Le diagnostic le plus fréquent concerne les douleurs sous-acromiales et est posé sous l’étiquette de conflit sous-acromial (Mitchell et al., 2005).
La terminologie utilisée pour décrire une condition peut influencer les préférences des patients pour la prise en charge (Nickel et al., 2017). Récemment, il a été montré que mettre une étiquette sur une douleur à l’épaule, et notamment celle de syndrome de conflit sous-acromial et celle de déchirure de la coiffe des rotateurs, influençait la perception du traitement par le patient et pouvait générer des facteurs psychologiques négatifs (peur, incertitude, détresse, perception de gravité, mauvais pronostic, besoin perçu de chirurgie, …) (Zadro et al., 2021).
Les médecins, en posant une étiquette diagnostique, proposent un diagnostic médical. Or, un diagnostic médical identifie principalement une pathologie tissulaire spécifique présumée être la cause de la douleur et du dysfonctionnement d'un patient. Ce marquage diagnostique basé sur la pathologie tissulaire suit un modèle pathoanatomique de la maladie, dans lequel le processus de diagnostic se concentre sur l'identification de la structure anatomique génératrice de douleur. (Ludewig et al., 2013).
Le kinésithérapeute traite les déficiences liées au mouvement plutôt que les anomalies anatomiques structurelles. En tant que tel, l'utilisation d'un modèle pathoanatomique pour définir les étiquettes de diagnostic liées à la physiothérapie crée une déconnexion entre les processus de diagnostic et de traitement. Car les diagnostics pathoanatomiques, lorsqu'ils ne sont pas directement confirmés comme la véritable cause de la douleur et du dysfonctionnement, peuvent orienter les interventions thérapeutiques au lieu de les guider. (Ludewig et al., 2013).
Neer (1972) proposait sa dénomination de conflit : « il est induit lors de l’élévation du bras par la compression de la coiffe des rotateurs et de la bourse sous-acromiale contre la partie antérolatérale de l’acromion » et son traitement par acromioplastie selon une considération pathoanatomique. Or, en kinésithérapie, en utilisant cette même dénomination, nous nous appuyons sur une considération toute autre et essentiellement associée au mouvement (translation supérieure de la tête humérale, mobilité scapulaire insuffisante, …) (Braman et al., 2014). L'utilisation des mêmes termes avec des significations différentes est inadéquate et le plaidoyer actuel pour l'abandon de l'étiquette de conflit sous-acromial semble justifié (Braman et al., 2014 ; Paavola et al., 2018). Une difficulté majeure est donc de trouver l’appellation appropriée pour le patient, pour le kinésithérapeute et pour le médecin.
Selon le Larousse (2022), un syndrome est un « ensemble de plusieurs symptômes ou signes en rapport avec un état pathologique donné et permettant par leur groupement, d’orienter le diagnostic ». Cette définition laisse entrevoir la possibilité de process pathologiques multiples. Mais la littérature peine à les définir et à les mettre en lien. Cela signifierait que plusieurs symptômes permettraient d’arriver au diagnostic de « conflit sous-acromial ». Mais cela signifie l’existence d’un conflit et l’identifie comme cause primaire. Or, une douleur sous-acromiale n’est pas obligatoirement liée à la réduction de l’espace sous-acromial. Il persiste un manque d’uniformité dans la définition des termes diagnostiques. Ainsi, par exemple, pour Larsson et al. (2019), le syndrome de conflit sous-acromial « est une condition dans laquelle l'espace sous-acromial, la zone directement sous le processus d'acromion et au-dessus de l'articulation de l'épaule, s'est rétréci ». Cette définition est celle du conflit et absolument pas celle d’un syndrome de conflit.
Les étiquettes de diagnostic servent essentiellement à fournir des groupes de patients homogènes pour tester l’efficacité des traitements (Ludewig et al., 2013). Aussi, nous pensons que la place accordée au conflit est grande parce que les auteurs cherchent à former des groupes de patients pour leurs études et à permettre ainsi un référencement de leurs publications. Et, à la lecture des définitions proposées par les auteurs, cette place est ce qu’elle est également en raison d’un manque d’investigations des facteurs à l’origine des douleurs sous-acromiales et d’une généralisation des troubles plus ou moins en lien avec ces douleurs. De plus, que les auteurs s’inscrivent dans une conception de conflit ou alors plutôt de syndrome de douleur, les critères diagnostics sont les mêmes et manquent de précision pour l’orientation diagnostique. Les tests d’évaluation sont multiples et dépendent plus des conceptions des auteurs que de leur taux de fiabilité. Les traitements sont proposés pour une catégorie généralisée de patients sans tenir compte des individualités.
Finalement, il semble ainsi que tous les patients souffrant de douleurs sous-acromiales sont les mêmes. Conflit ou syndrome, les douleurs sont les mêmes, l’altération de la fonction est la même. Le terme « conflit » est amalgamé avec celui de « syndrome » voire même fusionné. La différence entre la structure et la fonction n’existe pas. Nous pensons qu’il manque la considération des facteurs individuels des patients. En effet, l’impact de l’atteinte sur le travail, sur le recours aux soins, sur l’impact psychologique, sur les attentes du patient, sur les croyances du patient et sur la vitesse de récupération sont des composantes minorées voire absentes des évaluations. Et cela permettrait de mettre en avant des sous-groupes de patients plus pertinents et permettrait de mesurer les effets des interventions de soins avec plus de précision.
Le kinésithérapeute ne traite pas une pathologie. Il traite un patient qui souffre. Ce patient a besoin de mettre des mots sur sa souffrance pour conscientiser son processus de soin. Il a besoin de quelque chose de significatif. « Conflit », « syndrome », « syndrome de conflit », ne sont pas appropriés.
Il est nécessaire d’utiliser la dénomination qui véhicule le moins de catastrophisme, ceci pour favoriser une dynamique positive. Le but étant de faciliter une adhésion thérapeutique et de le rendre acteur de son traitement. Et pour cela, il semble important de se focaliser plus sur la fonction que sur la structure, d’acter la douleur.
Ainsi, dire au patient qu’il a « une période d’épaule douloureuse avec perturbation de la mobilité » semble donc plus approprié que de lui dire qu’il a « un conflit sous-acromial ».
Zadro, J. R., Michaleff, Z. A., O’Keeffe, M., Ferreira, G. E., Haas, R., Harris, I. A., Buchbinder, R., & Maher, C. G. (2021). How do people perceive different labels for rotator cuff disease? A content analysis of data collected in a randomised controlled experiment. BMJ Open, 11(12), e052092. https://bmjopen.bmj.com/content/11/12/e052092
Ludewig, P. M., Lawrence, R. L., & Braman, J. P. (2013). What’s in a Name? Using Movement System Diagnoses Versus Pathoanatomic Diagnoses. Journal of Orthopaedic & Sports Physical Therapy, 43(5), 280‑283. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23636096/